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I comme l’Insurrection (de l’imagination est irrésistible)

23 juin 2021 - Ressources

I comme l’Insurrection (de l’imagination est irrésistible)

Des activistes associent les manifestives à la révolution alors que d’autres lui reprochent de ne pas mener à la révolution. Les clowns de la célèbre Clandestine Insurgent Rebel Clown Army (CIRCA), fondée en novembre 2003 en prévision de la visite du président des Etats-Unis George W. Bush en Grande-Bretagne, prennent bien moins au sérieux cette question de « la » révolution. Sur son site Web, la CIRCA définissait sa mission, exposait ses faits d’armes et encourageait le recrutement. Chaque élément de son nom était défini avec précision : « Nous sommes clandestins parce que nous refusons le spectacle de la célébrité et parce que nous sommes tout le monde. »  Etant déguisé-e-s, « nous rejetons la société de surveillance » et « nous retrouvons le pouvoir de nos actes ». Ensuite, « nous sommes insurgé-e-s, parce que nous avons surgi de nulle part et que nous sommes partout. Parce que les idées peuvent être ignorées mais pas supprimées, et parce qu’une insurrection de l’imagination est irrésistible. » En écho à l’identité d’insurgé-e et à la mise à distance de l’ethos révolutionnaire, ces clowns se disaient « rebelles »  par amour de « la vie et [de] la joie plus que [de] la « révolution ». Parce qu’aucune révolution n’est jamais complétée et que les rébellions continuent pour toujours. […] Parce que nous allons toujours déserter et désobéir à ceux et celles qui abusent du pouvoir et s’y maintiennent. Parce que les rebelles transforment tout – la façon dont ces clowns vivent, créent, aiment, mangent, rient, jouent, apprennent, échangent, écoutent, pensent et, plus que tout, la façon dont ces clowns se rebellent. » Il y a dans ce passage des échos à une posture commune dans la mouvance radicale d’aujourd’hui, de sensibilité implicitement ou explicitement anarchiste, qui consiste à se méfier de la référence classique à la révolution et à celles et ceux qui proposent de prendre le pouvoir – par les urnes ou les armes – pour le bien de l’ensemble. En position de rébellion permanente, ces clowns annoncent ne jamais vouloir s’incliner devant un nouveau chef.

[…]Les clowns rebelles adoptent une position en rupture avec cette attitude jugée inutilement sérieuse, voire puriste : « Nous sommes des clowns, car que peut-on être d’autre dans un tel monde stupide. Parce qu’à l’intérieur de toute personne se trouve un clown sans loi qui essaie de s’évader. Parce que rien ne mine l’autorité comme de révéler son ridicule. » Les clowns ajoutent : «  Nous sommes une armée parce que nous vivons sur une planète en guerre permanente – une guerre de l’argent contre la vie, du profit contre la dignité, du progrès contre le futur. […] Parce que seule une armée peut déclarer une guerre absurde contre une guerre absurde. Parce que le combat nécessite de la solidarité, de la discipline et de l’engagement. »

Ces clowns n’ont donc par la prétention de faire la révolution, s’il faut entendre le terme dans son sens classique de renversement global d’un système ou d’un régime. Les clowns précisent plutôt se tenir dans un entre-deux, au centre et à la marge de la société. D’ailleurs, l’acronyme de l’armée de clown CIRCA signifie « environ » en anglais, parce que les clowns jouent sur les registres de l’approximatif et de l’ambivalence, pour reprendre leurs termes, se situant « ni ici ni là, mais dans la plus puissante des places, la place entre l’ordre et le chaos ».

Extrait de Les nouveaux anarchistes, de l’altermondialisme au zadisme, Francis Dupuis-Déri, éditions textuel, petite encyclopédie critique p.89