R comme Rire(s)
J’aime la matière du voyage : les attentes, les ratés, les repas, la température… Cet art de naviguer les rencontres place l’ « ethnologue » autour d’une table, avec des verres devant lui. Les verres contiennent une boisson fermentée. À la gauche de l’ethnologue est assis un musicien. Autour de la table, on peut aussi voir des Homères, des Shéhérazade.
Oui j’ai eut la chance dans ma vie de rencontrer plusieurs fois Shéhérazade, et plusieurs fois Homère. J’ai eut la chance de parler, de travailler, de boire, de danser avec plusieurs Homères et avec plusieurs Shéhérazade. C’est là où je voulais en venir : les tâches de l’ethnologue me donnent toujours du plaisir, elles sont intéressantes ; parfois passionnantes. Les gens autour de cette table livrent des chants qui se meurent dans les millénaires : trois notes d’un arc musical, les tambours frappés sur les pavés d’Olinda, un « micro-libre » devant la bibliothèque, un défilé de carnaval… des rires, encore.
[…] L’ethnologue ne traite pas des objets (économie, mythe, musique, migrations…), ni des gens (pêcheurs, conteuses, musiciens…) mais créée un discours avec les gens. L’ethnologue ne travaille pas sur des groupes humains, mais travaille avec des femmes et des hommes qui affirment leurs différences et leur volonté de produire une parole mélangée, interculturelle. Si, il y a quelques décennies, certains pouvaient définir l’ethnologie comme une connaissance de la diversité, elle est aujourd’hui une connaissance dans la diversité, une connaissance qui prend sa source dans la rencontre.
Extrait de Jouer, danser, boire carnets d’ethnographies musicales, Jean-Michel Beaudet, éditions EHESS, p.12